Les quatre facultés de médecine du Québec et leurs universités ont signé conjointement la lettre d'opinion ci-dessous. La doyenne de la Faculté de médecine de l’Université Laval, Marie Arsenault, insiste sur le fait que l’enseignement et la recherche doivent être valorisés et, surtout, ne pas pénaliser les médecins qui ajoutent ces tâches universitaires à leur pratique clinique. Elle est d’avis que, sans les médecins qui enseignent, il n’y a pas de relève médicale, pas de recherche innovante, pas de système de santé pérenne.
« Nous poursuivons nos efforts avec détermination pour que les enjeux liés à enseignement et à la recherche soient entendus et intégrés dans les décisions à venir. Ensemble, nous ferons en sorte que la voix de notre communauté facultaire soit entendue et respectée », exprime-t-elle.
Lettre d'opinion publiée dans La Presse
Le conflit qui oppose le gouvernement et les fédérations médicales défraie les manchettes depuis plus de six mois. Au-delà des enjeux qui ont mené à des moyens de pression historiques cet automne, l’affrontement a mis en lumière une réalité inquiétante : l’enseignement médical et la recherche sont en voie de devenir des victimes de la réforme.
La position des universités a toujours été claire : les enjeux de rémunération, les cibles de performance et les priorités en matière de soins ou de patientèles doivent être tranchées par le gouvernement et les fédérations médicales. Cela dit, dans la mesure où ces discussions touchent à des éléments qui relèvent de leurs missions, les universités ont une contribution importante à apporter.
Depuis le dépôt du projet de loi 106, les quatre facultés de médecine du Québec ont exprimé ces préoccupations à plusieurs reprises : mémoires et témoignages en commission parlementaire, déclarations publiques, échanges avec les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur. Chaque fois, notre message était le même : pour assurer la pérennité du système de santé et la formation d’une relève de qualité, le gouvernement doit reconnaître et valoriser les activités d’enseignement et de recherche, et éviter qu’elles ne soient reléguées à l’arrière-plan d’une réforme qui vise avant tout la prise en charge et les rendez-vous en clinique.
Ces aspects de la réforme sont extrêmement importants et nous appuyons sans réserve la volonté du gouvernement d’accroître l’accès aux soins. Mais il ne faudrait pas que des actions prises dans l’urgence aient pour effet d’affaiblir la capacité des facultés de médecine à offrir une formation adéquate et à contribuer aux innovations en santé par la recherche. L’enseignement et la recherche ne peuvent pas devenir les parents pauvres du système ; si ces fonctions sont occultées ou dévalorisées par les nouvelles orientations, il y a un risque réel que les universités québécoises ne puissent plus assurer leur mission de formation d’ici quelques mois ou quelques années., Certains signaux suggèrent que si les incitations financières favorisent trop étroitement la pratique clinique, plusieurs médecins pourraient délaisser leurs fonctions d’enseignement dès la prochaine session. Dans un contexte où le Québec doit former un grand nombre de médecins pour remplacer ceux qui partiront prochainement à la retraite, ce risque devrait être préoccupant.
Alors que nous apprenons que les échanges reprennent entre le gouvernement et les fédérations médicales, nous croyons donc essentiel que les facultés de médecine soient associées à ces discussions pour les aspects qui touchent la formation et la recherche. Plusieurs mécanismes sont envisageables pour s’assurer que la réforme reconnaisse et valorise ces activités : ajustements d’indicateurs, facteurs d’équivalence, mécanismes de rémunération spécifiques, exemptions ou autres.
Les GMF-U, qui assurent la formation pratique des futurs médecins de famille tout en offrant des soins de première ligne, doivent notamment être pleinement considérés dans la réforme. Leur rôle est essentiel pour concilier l’accessibilité des soins et la qualité de la formation. Si le réseau de la santé ne soutient pas adéquatement les 16 000 médecins qui choisissent d’enseigner, nos facultés de médecine se retrouveront sans professeurs. Pour les universités et les étudiants, la collaboration avec les médecins est fondamentale.
En parallèle, il y aurait également lieu d’amorcer des discussions sur les relations parfois floues qui existent entre les médecins enseignants, les universités et les milieux de soins universitaires. À l’heure actuelle, ces arrangements sont mal encadrés et offrent peu de balises et de recours aux différentes parties prenantes. Bien que cette question ne soit pas directement touchée par le projet de loi 2, cette situation contribue à fragiliser l’organisation de la formation médicale. Il nous apparaît souhaitable de convenir, plus tôt que tard, d’un modèle plus clair, stable et durable, comme il en existe ailleurs au Canada et en Europe.
En intégrant la perspective des universités, nous croyons qu’il est possible de trouver des solutions constructives qui permettront des améliorations souhaitées par tous, tout en valorisant à sa pleine mesure le travail des médecins, incluant les médecins enseignants et chercheurs.
Il est parfaitement légitime pour le gouvernement de chercher à améliorer l’accès aux soins et à optimiser notre système pour l’avenir. Cela dit, on ne réformera pas durablement le réseau de la santé si on ne tient pas compte des personnes et des facultés qui forment celles et ceux qui nous soigneront demain.
Sophie D’Amours, rectrice, Université Laval
Daniel Jutras, recteur, Université de Montréal
Jean-Pierre Perreault, recteur, Université de Sherbrooke
Deep Saini, recteur et vice-chancelier, Université McGill
Dre Marie Arsenault, doyenne, Faculté de médecine, Université Laval
Dr Patrick Cossette, doyen, Faculté de médecine, Université de Montréal
Dre Lesley Fellows, doyenne, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université McGill
Dr Louis Valiquette, doyen, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke

