Découvrez comment sa passion pour les arts nourrit sa pratique médicale et son rôle de doyen
Doyen de la Faculté de médecine depuis 2018, Julien Poitras est passionné par les arts. En avril dernier, il lance l’exposition Le poids de nos traces au Centre des ressources d’apprentissage (CRA) du pavillon Ferdinand-Vandry. Une exposition satellite se déroule aussi jusqu’à la fin mars 2026 aux pavillons d’enseignement de la médecine de Lévis et de Rimouski. C’est un rendez-vous à ne pas manquer ! Vous avez la curiosité de découvrir une autre facette de notre doyen ? Nous vous proposons cette entrevue axée sur ses intérêts artistiques !
Comment se traduit votre intérêt pour l’art durant votre enfance ?
Étant né dans un petit patelin de Charlevoix, ma proximité avec la nature a contribué au développement de mon intérêt pour les arts. À travers les bandes dessinées qui nous parvenaient alors au village, je me suis intéressé assez rapidement au dessin. Mes parents, mes professeurs et un cours de dessin au Musée du Québec, lorsque nous avons déménagé dans la région, ont alimenté cette passion !
Quel déclencheur vous incite à faire des études en médecine après celles que vous avez effectuées en arts ?
J’aime toujours rappeler que j’ai d’abord suivi une formation collégiale en sciences pures ! Les portes vers la médecine sont alors déjà ouvertes, mais à ce moment-là, je ne le sais pas encore.
Les études en arts sont un accident de parcours puisqu’initialement, je m’oriente vers des études en physique ou en architecture. Le revirement s’est produit vers la fin de mes études en arts. Saturé des approches formaliste et postmoderne qui prévalent alors à l’École des arts visuels, j’entame un cours d’anatomie à la Faculté de médecine. Cela me plait ! J’y ai connu des professeurs intéressants et, ainsi, après le baccalauréat en arts visuels, j’ai migré vers le doctorat en médecine. Un changement pas si surprenant, finalement !
Quelles sont alors les réactions de vos pairs lors de votre réorientation en médecine ?
Il faut se rappeler qu’à la fin des années 80, il y a peu de débouchés en arts. Plusieurs personnes de ma cohorte s’orientent alors vers d’autres carrières. Mon changement n’est donc pas si surprenant. Comme mon approche picturale est alors fortement centrée sur le corps humain, son fonctionnement et sa représentation, ce changement coule un peu de source !
Votre mandat de doyen prend fin dans quelques semaines. Comptez-vous maintenant accorder plus de temps à votre art ?
Je me suis toujours laissé guider par les occasions qui se présentent, donc qui sait ? Plus sérieusement, oui, cela fait partie de mes projets !
D’avoir deux ou plusieurs occupations répond aussi à qui je suis. Après quelques heures ou jours passés à réaliser des bandes dessinées, je commence à m’en lasser. C’est un peu la même chose après avoir mené pendant plusieurs jours des activités médicales ou administratives. Pouvoir me consacrer à l’art est alors une bénédiction. Il y a toujours cette dualité et il est fort possible qu’elle m’accompagne toute ma vie.
Autre que la bande dessinée, quels autres domaines artistiques vous passionnent ?
Bien que je les pratique peu, j’aime les arts picturaux, le dessin, la peinture et la photographie. Je me repose sur ces activités pour créer des récits à travers la bande dessinée. Même si je ne le pratique pas, le cinéma me passionne aussi.
Comment les arts influencent-ils votre manière de pratiquer la médecine ?
La question m’amène sur plusieurs angles complémentaires, car la médecine est dite un art et une science. D’abord, les arts me permettent de me vider la tête des préoccupations qui ont tendance à persister après une présence à l’unité d’urgence. Ai-je manqué quelque chose ? Est-ce que j’aurais dû faire tel examen complémentaire ? Pouvoir faire taire ces « boucles mentales » après une activité intellectuelle intense et stressante me permet de revenir dans de meilleures dispositions pour un prochain quart à l’urgence.
Les arts sont cohérents avec la vision d’inculquer à notre communauté étudiante en sciences de la santé une diversité expérientielle et d’intérêts. Après tout, la base est de s’intéresser à l’humain et d’être capable d’entrer en relation de soin avec l’autre. Cela est d’autant plus important lorsque l’autre a des valeurs et une culture qui tranchent avec les nôtres.
Le volet artistique, c’est aussi de pouvoir ressentir de la compassion envers une personne étrangère et d’entrer en relation avec elle et ses proches. La pratique ou l’intérêt envers un art ou une autre activité artistique livre à mon sens certaines clefs. Pratiquer la médecine va au-delà des algorithmes de décision. C’est aussi savoir se poser des questions fondamentales dont la réponse est propre à l’individu qui nous fait face. La bonne décision pour l’un est peut-être de faire des investigations invasives, mais ne l’est peut-être pas pour une autre personne.
Bref, c’est cette capacité essentielle d’entrer en relation qui nous distingue de l’application bébête d’une liste de diagnostics différentiels et de l’exécution d’examens que toute machine, mue par l’intelligence artificielle ou pas, peut ou pourrait accomplir.
Comment les arts influencent-ils votre rôle de doyen ?
Il y a un peu de la dernière réponse dans celle-ci ! Ce qui est plus distinctif, ce sont les cadres de référence qui diffèrent. Disposer de cadres variés permet de considérer des solutions qui sortent de la boîte et qui m’aident à proposer aux collègues des façons différentes de voir les choses ou de résoudre les difficultés.
Sans compter que cesser de penser pendant quelques heures aux problèmes permet parfois, au terme d’une activité artistique, le dépôt par magie dans mon esprit d’une solution que je n’ai pas envisagé auparavant !
Le cerveau droit et le cerveau gauche ont leur façon de fonctionner et d’opérer. Le cerveau gauche, centre de l’analyse et du langage, a ses limites. Afin de reposer ce cerveau, il vaut la peine de taquiner le cerveau droit par une activité artistique. Cela nous permet parfois d’arriver à une solution sans trop l’intellectualiser. En clinique, on fonctionne aussi avec ces deux modes opératoires et ce, afin d’arriver à un diagnostic. D’un côté il y a l’analyse rigoureuse des symptômes et des signes qui est lourde en termes de temps et d’énergie. De l’autre, il y a la reconnaissance de motifs ou d’un modèle répétitif, un mode plus rapide et intuitif qui permet de gérer l’affluence élevée de clientèle.
Comment les arts doivent s’inspirer de la médecine et vice versa ?
Je pense qu’on doit chercher l’équilibre entre les deux disciplines et qu’elles peuvent être complémentaires. En complément à ma réponse précédente, il y a lieu de s’intéresser aux arts et à l’humain pour pratiquer une médecine plus holistique, adaptée aux réalités individuelles.
Inversement, les arts peuvent s’inspirer de la médecine et de la science en général. En effet, les arts parlent de l’humain et la science est une partie importante de l’activité humaine qui génère depuis longtemps des progrès incroyables avec les risques que l’on connait. Les arts, et plus largement les sciences humaines, peuvent nous permettre de nous poser des questions essentielles sur les sciences et leurs dangers. Les arts se doivent de le faire pour nous amener ces réflexions essentielles sur notre rôle dans l’univers et sur notre devenir en tant qu’êtres humains.
Les arts peuvent certainement intégrer les sciences et leurs découvertes dans de nouvelles formes d’expression artistique. Je fais référence, par exemple, à l’art conceptuel, aux installations acoustiques et aux arts numériques. Ils peuvent ainsi apprivoiser certains éléments de la science afin de la rendre plus digeste et moins menaçante. Bref, intégrer et mobiliser des principes, découvertes, œuvres, activités scientifiques pour produire de l’art, en vue du bien commun et de notre progression comme humanité.
À cet égard, je cite Parkinson ?, une nouvelle bande dessinée publiée, en partenariat avec Parkinson Québec, par la maison d’édition que je préside, Moelle graphik. Cette bande dessinée vise à démystifier la maladie de Parkinson. Je tiens d’ailleurs à remercier deux actrices de la Faculté, la professeure titulaire à l’École des sciences de la réadaptation, Emmanuelle Careau et l’agente de recherche et de planification, Julie Bouchard. Le scénario a été documenté entre autres par une activité de participation citoyenne et selon une approche scientifique de photovoix. Ici, la science, soit une approche scientifique de consultation citoyenne, a bien inspiré les arts !